En 2017, de retour d’un séjour en Corse, j’avais publié La légende de la Calcagnetta cette année je vous propose une autre très belle légende Corse, celle du dragon du lac Cinto.
Le lac de Cinto est situé à proximité du sommet de Monte Cinto, le plus haut sommet de l’île avec ses 2706 mètres.Ce petit lac qui culmine à 2460 mètres est situé dans une cuvette escarpée parsemée d’éboulements rocheux ce qui donne une impression d’apocalypse minérale.
On raconte que, dans des temps reculés, le diable s’était retiré sur les bords du lac Cinto. Un jour trois fées arrivèrent et décidèrent de le chasser pour prendre sa place. A cette époque le lac ne présentait pas cet aspect tourmenté, il était entouré de pins et couvert de nénuphars. Furieux de cette intrusion, Satan avant de s’en aller, ordonna à ses suppôts de tout saccager autour du lac.
Satan en abandonnant le lac aux trois fées avait laissé, errant dans la montagne, son dragon favori. Un soir de printemps, alors qu’il accompagnait son troupeau vers son estive, un berger aperçu le dragon. Pris de panique il parti en courant tandis que la monstrueuse bête, crachant le feu par ses narines dilatées, griffant le sol de ses pattes, décima le troupeau.
Le berger parvint au village, essouflé et terrorisé, il raconta son histoire et personne ne voulut le croire. Seul son fils Antone le croyait et faisait front aux quolibets des habitants.
Un soir, tandis que se préparait la fête de la châtaigne une lueur rougeoyante éclaira le fond de la vallée. Les oiseaux s’enfuirent à tire d’ailes et les chiens hurlèrent à la mort.
Dans la vallée la forme du dragon avec sa longue queue et son cou terminé par sa terrible tête se distinguait nettement : le monstre venait vers le village !
Plus personne n’avait envie de se moquer du berger !
Après avoir empli l’air de ses lugubres cris, le dragon délaissa le village et regagna sa tanière. Les jours suivants la même scène se reproduisit. Les villageois étaient prisonniers dans leur village, ils ne pouvaient plus s’éloigner pour amener leurs troupeaux au pacage ou ramasser les châtaignes : la famine allait s’abattre sur eux.
Le seigneur de la Pieve, ayant appris qu’un dragon sévissait du côté de Venaco, décida avec ses hommes d’armes de voler au secours des Venacais assiégés par la bête du démon.
A son tour il fut défait et aucun homme en réchappa.
Un conseil se tint, pouvait-on négocier avec la bête ?
-Non ! dit le curé, autant conclure un marché avec Satan.
-J’irai affronter le dragon !
Ils se retournèrent vers celui qui venait d’entrer dans la salle du conseil. C’était le fils du berger qui, le premier, avait vu le dragon.
-Vous vous êtes moqué à tort de mon père, je veux venger son honneur !
-Réfléchis ! c’est de la folie, reste avec nous, dit son père en tentant de le raisonner.
-Je combattrai le dragon, s’entêta Antone et il se retira dans l’église pour y prier toute la nuit.
-Seigneur, Aidez -moi, donnez-moi la force de combattre le dragon !
-Il ne peut rien pour toi ! Jésus ne peut se mêler directement dans l’histoire des hommes.
Antone se retourna et se trouva face à trois jeunes femmes, vêtues l’une de bleu, l’autre de rouge et la troisième de jaune.
-Qui êtes-vous ? balbutia-t-il.
Nous sommes les fées du lac Cinto, dit celle qui portait la robe bleue, elle précisa : c’est la couleur du ciel, la robe jaune c’est celle du soleil la rouge, celle de la force qui combat le mal.
La fée en rouge était la plus jeune et la plus jolie.
Elle lui sourit :
-Si tu veux, je combattrais avec toi !
Antone, conquit, accepta la proposition.
Surpris, Antone s’aperçut que les deux autres fées avaient disparu.
La fée a la robe rouge le prit par la main et lui demanda de s’asseoir, elle lui expliqua:
-Les dragons, comme les fées sont des êtres légendaires, ils n’existent que parce quelqu’un pense à eux.
-Qui a pensé au dragon ? s’étonna Antone.
-Pas un mortel, le dragon est habité par le démon, je combattrai le démon pendant que tu t’occuperas de combattre le corps de la bête.
Elle lui tendit une longue épée au pommeau d’or.
-Cette arme t’aidera à vaincre la bête.
Maintenant va. Antone prit l’épée et sortit.
Le lendemain il partit dans la direction où l’on avait aperçu le dragon pour la dernière fois.
Le curé décida de dire, neuf messes pour le repos de son âme car tout Venaco était persuadé qu’ils ne reverraient plus Antone vivant.
Soudain les villageois entendirent un vacarme qui s’élévait dans la vallée. Au milieu des hurlements terribles poussés par le dragon on percevait le cliquetis d’armes, comme si une armée entière combattait. Une fumée s’échappait du bois où se déroulait le combat, une brise amena vers le village une odeur de souffre.
Le combat dura plusieurs heures puis,brusquement, le silence retomba sur la campagne, un silence assourdissant tant il impressionnait.
Sur les lieux du titanesque combat la fée reprit l’arme qu’elle avait confiée à Antone.
-Tu es aussi beau que tu es courageux !
Elle déposa un baiser sur son front.
-Vous habitez sur le lac du mont Cinto ?
-Non, quelque part dans le massif du Cinto, pourquoi me demandes-tu cela ?
Antone s’enhardit :
-Je sais que je ne devrais pas dire une telle chose à une fée je vous aime !
Surpris lui même par sa témérité, il fit demi-tour et partit en courant.
Reçu au village comme un héros, il ouvrit un sac de toile et jetas sur le sol les griffes du dragon qu’il avait récupérées.
Il tendit la plus belle qu’il avait gardé à sa mère :
-En souvenir tu la mettras en collier.
La vie repris son cours, sauf pour Antone dont le souvenir de la fée à la robe rouge ne le quittait plus.
Durant des semaines il erra au travers du massif du Cinto à la recherche de la maison des fées, juste pour apercevoir son amour.
Un jour dans une clairière ils découvrit trois maisonnettes une avait la porte bleue, l’autre une porte rouge et la troisième une porte jaune.
Prenant son courage à deux mains, il frappa à la porte rouge.
Nul ne sait ce qui se passa lorsque la porte s’ouvrit car personne n’a plus jamais revu Antone.
Sources.
Journal régional de la Haute-Corse -Numéro 6- Juin 2018
Très intéressant, merci pour le partage !
merci beaucoup .. content que ça vous plaise !
J’adore!!!
Et le rouge est ma couleur préférée!!!
Les robes rouges se sont jamais anodines 🙂
C’est une superbe légende et je suis convaincue que toute légende est un puits de vérité. Quelque chose d’initiatique s’y love et l’on chemine à travers ces récits vers d’autres plans de réalité…
Franchir la porte rouge après avoir affronté le dragon, créature alchimique, maître des instincts et des différents visages de la magie, s’enhardir comme tu l’écris si joliment, oser, s’engouffrer dans le passage mystérieux et y trouver ce que l’on attendait sûrement, dans l’obscurité fertile du coeur…
Elle… Une autre image du Dragon qui souffle le feu de fécondité!
Un grand merci pour le partage, avec amitié, gros bisous!
Cendrine
J’ai trouvé cette légende dans un supplément immobilier de Corse matin, perdue au milieu des annonces. Elle m’a tout de suite séduite, j’ai bien pensé qu’il y avait tous les ingrédients pour plaire à la Plume fée ! j’aime beaucoup les légendes, les contes, dernièrement j’ai trouvé dans un kiosque de livres usagées les contes d’Andersen et je me régale.
bisous
gérard