En 1867, l’écrivain Charles Vincent déplore la disparition des échoppes à Paris. Il estime qu’il en reste environ cinq cent contre plusieurs milliers quinze années auparavant.
Ont déjà disparu de la voie publique en 1867 : les échoppes des marchandes de galettes et des fruitières, celles des écrivains publics, du rémouleur, ce gagne-petit, qui ne pouvant payer un loyer reprend peu à peu ses promenades quotidiennes à travers les rues et faubourgs, comme l’ont fait avant lui le rempailleur et le raccommodeur de panier.
L’échoppe est une petite boutique en bois peint, haute de cinq à six pieds et large de trois à quatre, adossées pittoresquement au coin des places ou des monuments publics, le long des églises ou des maisons bourgeoises, ayant pour toit des planches d’où s’échappe le bout d’un tuyau de poêle, et pour plancher le pavé de la rue.
DANS CE MARASME SEUL LE SAVETIER TIENT BON !
Savetier est l’ancien nom donné aux cordonniers : jusqu’au jusqu’au XVIIIe siècle, le savetier raccommode les souliers qui ne sont plus très neufs, le cordonnier fabrique des souliers neufs ou de luxe. La fabrication industrielle de la chaussure entraînant la disparition du cordonnier, ce dernier s’est spécialisé dans la réparation.
Horemans Jan Josef (1682-1759) Le savetier.
En 1867, un peu partout et notamment rue Soufflot, rue du val de Grâce, place des capucins, rue de Babylone, rue des Deux-écus, rue de Charenton, l’échoppe est là resplendissante et cet artisan y vit joyeux et chanteur.
Rue des Deux-écus en 1865. Charles Marville (1816-1878). Musée Carnavalet.
Pas de comptes à rendre, pas de maîtres dont il faut supporter les caprices. Bon an mal an un savetier habile gagne plus que certains bureaucrates. Joignez à cela la plus grande liberté que puisse désirer un travailleur, et vous comprendrez la bonne humeur traditionnelle de ce bijoutier du cuir, comme on le surnomme ironiquement.
L’amour de l’indépendance date de loin dans cette profession, l’ami de Socrate, Simon d’Athènes reçut de Périclès l’offre de quitter son échoppe et de venir vivre auprès de lui. <je ne vendrais pas ma liberté pour tous les trésors de la Grèce, > répondit Simon.
Le savetier a toujours inspiré les écrivains et les poètes, parmi eux Jean de La Fontaine dont vous entendez la fable « Le savetier et le financier » dite par le comédien Jean-Pierre Darras (1927-1999).
Illustration pour le Savetier et le Financier, fable de Jean de La Fontaine. Tapisserie de la manufacture de Beauvais, d’après un dessin de Jean-Baptiste Oudry (Musée Jacquemart André, Paris).
Grâce au financier, un modeste savetier prend possession d’une fortune mais perd son bonheur de vivre. La sagesse du savetier fait qu’il préfère récupérer ses « chansons » et son « somme » en rendant au financier les « cent écus ».
La morale est implicite : l’argent ne fait pas le bonheur et, bien au contraire, il apporte le malheur (au savetier). Le bonheur n’est pas un bien matériel qui s’achète. On notera que c’est le savetier qui, à la fin de notre fable, paraît avoir l’attitude la plus « intelligente ».
Le savetier et le financier de La Fontaine présente certains traits communs avec « la farce des deux savatiers » une pièce de théâtre composé fin XV éme début XVI éme par un auteur inconnu.
Dans la strophe XXXI de Le Lais ou Le Petit Testament, François Villon laisse ses vieux souliers au savetier.
Dans cette oeuvre de jeunesse de 1457 ( il est né à Paris en 1431), Villon joyeux fait une suite de dons tous plus ou moins loufoques, mais toujours cruels et souvent drôles.
XXXI Item, je laisse a mon barbier Les rognures de mes cheveux, Pleinement et sans détourbier; Au savetier mes souliers vieux, Et au frepier mes habits tieux Que, quand du tout je les delaisse, Pour moins qu'ils ne coûterent neufs, Charitablement je leur laisse.
Citons également, en 1799, « Le galant savetier » de l’ abbé Edmond Cordier de Saint Firmin, une comédie-parade, en un acte et en vaudevilles …… ou encore « Blaise le savetier » un opéra-comique en un acte mêlé d’ariettes de Michel-Jean Sedaine, musique de Philidor, représenté pour la première fois à la Foire de Saint-Germain le 9 mars 1759.
Enfin, et la liste n’est pas exhaustive, citons de Georges Villard « le Savetier philosophe » (1923), une comédie en 1 acte, et en vers.
Parolier, auteur de monologues et poète, Villard fut d’abord chansonnier puis il devint un auteur à la mode écrivant les paroles de nombreuses chansons dont les célèbres « La valse brune » et « La petite Tonkinoise ».
Saint-Crépin, le Patron des savetiers. On le fête le 25 octobre.
Le Savetier et le Financier.
Un Savetier chantait du matin jusqu’au soir :
C’était merveilles de le voir,
Merveilles de l’ouïr ; il faisait des passages,
Plus content qu’aucun des sept sages.
Son voisin au contraire, étant tout cousu d’or,
Chantait peu, dormait moins encor.
C’était un homme de finance.
Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l’éveillait,
Et le Financier se plaignait,
Que les soins de la Providence
N’eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an ? – Par an ? Ma foi, Monsieur,
Dit avec un ton de rieur,
Le gaillard Savetier, ce n’est point ma manière
De compter de la sorte ; et je n’entasse guère
Un jour sur l’autre : il suffit qu’à la fin
J’attrape le bout de l’année :
Chaque jour amène son pain.
– Eh bien que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?
– Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours ;
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes,)
Le mal est que dans l’an s’entremêlent des jours
Qu’il faut chômer ; on nous ruine en Fêtes.
L’une fait tort à l’autre ; et Monsieur le Curé
De quelque nouveau Saint charge toujours son prône.
Le Financier riant de sa naïveté
Lui dit : Je vous veux mettre aujourd’hui sur le trône.
Prenez ces cent écus : gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.
Le Savetier crut voir tout l’argent que la terre
Avait depuis plus de cent ans
Produit pour l’usage des gens.
Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre
L’argent et sa joie à la fois.
Plus de chant ; il perdit la voix
Du moment qu’il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis,
Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l’oeil au guet ; Et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l’argent : A la fin le pauvre homme
S’en courut chez celui qu’il ne réveillait plus !
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.
Jean de la Fontaine.
Bonsoir Gérard,
Je suis enchantée par votre article qui est une mine d’informations sur ce métier ancien, sorte de mémoire des siècles et des évolutions de Paris.
J’aime beaucoup cette idée d’indépendance et de liberté guidant l’artisan et qui est mise en lumière dans la Fable de La Fontaine avec l’importance du bonheur qui supplante l’argent. Nombre de petits métiers auraient bien leur place aujourd’hui dans notre société…
Je vous souhaite un excellent dimanche. Je pose un peu « ma plume fée » pour aider une amie qui m’a demandé de corriger certains textes de son blog culinaire et de l’aider à écrire un quizz mêlant histoire de Paris et gastronomie.
Amitiés
Cendrine
Bonsoir,
Sur conseil de Cendrine ( maplumefeedansParis) je viens vous lire et ainsi apprendre ce qu’il en est du savetier. Franchement je ne connaissais cette appellation ni ce vieux métier. Son descendant le cordonnier tend lui aussi à se faire rare. Mauvaise évolution du monde actuel, qui se veut dédié à la consommation outrancière de tout et n’importe quoi. Jeter plutôt que réparer… Mais la « crise économique » actuelle verra sans doute cet état d’esprit évoluer et le retour de nombreux petits métiers. …
Merci de votre article, aussi agréable qu’ instructif
bonsoir Promeneur75,
Je vous remercie pour votre appréciation sur mon article. Etre recommandé par Cendrine c’est un honneur … son blog est vraiment d’une qualité rare.
Je crois comme vous que la consommation à outrance a « du plomb dans l’aile ». J’observe ici ou là des tendances à essayer de réutiliser des objets, quitte à en changer la destination d’origine.
merci
gérard
bonsoir Cendrine
merci beaucoup. Comme le fait remarquer Promeneur75 avec la fin de l’hyper consommation de nouveaux métiers peuvent faire leur apparition ou même d’anciens répparaitre. Votre amie ne sait pas tromper en faisant appel à vous ! j’ai déjà fait quelques recherches sur la gastronomie parisienne mais sans trop de succès ….. je peux dire que je suis resté sur ma faim !
bon courage, nous patienterons pour avoir à nouveau le plaisir de découvrir vos exquis articles
gérard