Publiée par L’Association mensuelle cette lithographie de Daumier est une des œuvres majeures de l’histoire de l’estampe du XIXe siècle. Elle figure les résultats d’une bavure policière qui eut lieu le 14 avril 1834 lors de la répression d’une émeute déclenchée par la loi contre le droit d’association.
Les premières années du règne de Louis-Philippe (1830-1848) sont marquées par divers mouvements populaires dont la répression fait rapidement retourner à l’opposition les républicains d’abord favorables au régime.
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Louis-Philippe (1773-1850) vers 1830 par Auguste de Creuse (1806-1839). Maison Balzac à paris.
La Société des Droits de l’homme voient dans la République le seul régime capable de fonder une vraie justice sociale. Cette association, importante sous la monarchie de juillet (1830-1848), regroupait à l’origine des républicains modérés et extrémistes.
Très vite, ces derniers l’emportent et font publier le Manifeste de la Société des droits de l’homme dans le journal La Tribune le 22 octobre 1833.
Pour juguler la propagande républicaine, le gouvernement fait voter une série de lois qui soumettent la profession des crieurs publics et marchands de journaux ambulants à une autorisation toujours révocable, interdisent les associations politiques et défèrent devant la chambre de Paris les complots contre l’Etat.
Marc-René de Voyer de Paulmy d’Argenson l’un des fondateurs de la Société des Droits de l’homme.
En réaction à ces lois , le journaliste Armand Carrel invite alors ses lecteurs du National à « répondre à la suspension de la légalité par la suspension de l’ordre public ».
Armand Carrel le « André Chénier de la politique ».
Le 9 avril 1834, une manifestation est organisée à Lyon par la Société des Droits de l’homme et le Conseil exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel.
L’émeute des ouvriers soyeux qui s’ensuit (9-12 avril) s’étend dès le 13 avril à la capitale.
Thiers la laisse se développer pour mieux l’écraser.
L’émeute s’achève à Paris, le 14 avril, par le massacre des habitants d’une maison située au 12 de la rue Transnonain.
Il semble que, le 14 avril, un capitaine d’infanterie ait été blessé sur une barricade de la rue Transnonain d’un coup de feu tiré d’une maison voisine et que son détachement ait alors reçu l’ordre de massacrer tous les hommes parmi les occupants de l’immeuble.
Les soldats pénétrent dans la maison et tuent 12 habitants et en blessent de nombreux autres (hommes, vieillards, femmes, enfants).
Les 12 malheureuses victimes :
Loisillon Louis -20 ans-Chapelier
Daubigny Alex -36 ans-Peintre-vitrier
Guitard Adolphe -28ans- Employé
Robiquet Alphonse -29 ans- Monteur en bronze
Hû -46ans- Marchand de meubles
Lepère -30 ans-Doreur sur papier
Besson annette -49 ans-Fabricante de papier peint
Breffort Louis -22 ans- Artiste peintre
Breffort Charles -58 ans-Fabricant de papier peint
De larivière Henri – 23ans- Clerc d’avoué
Bouton -52 ans- Peintre en batiment
Thierry Felix -20 ans-Bijoutier
A la suite de ce massacre, le pouvoir politique tente de jeter le discrédit sur les victimes et d’étouffer l’affaire.
Trois mois après le drame, dans un mémoire, Ledru-Rollin écrit ceci :
<on rependait dans la ville qu’il n’y avait point eu de victimes; qu’il ne s’était rencontré que de lâches assassins, tués les armes à la main. Le bon sens public répondait que, parmi les malheureux qui avaient cessé de vivre, il en était qui, par leur âge, par leur sexe, avait dû être frappés suppliants, inoffensifs>.
Les 40000 hommes envoyés par Thiers, pour combattre les émeutiers, étaient placés sous le commandement du général Bugeaud.
Bien que l’endroit ne fut pas dans la circonscription assignée à la brigade de Bugeaud le peuple lia son nom à ce massacre; il restera « l’homme de la rue Transnonain. ».
Portrait de Bugeaud par Charles Philippe Larivière. Château de Versailles.
Le procès qui eut lieu l’année suivant le drame ne fût qu’une mascarde.
Un soldat impliqué dans « l’affaire de la rue Transnonain », Jacques Séraphin LANQUETIN fut même même décoré de la Légion d’Honneur !
La rue Transnonain fut ouverte au XIII éme siècle. Elle s’appela rue de Chalon, rue Trousse-Nonnain, rue Trace Putain, rue Trousse Nonnain et enfin rue Transnonain.
On l’a englobé dans le nom de la rue Beaubourg en 1851.
L’immeuble du 12 rue de la rue Transnonain avant les travaux d’Hausmann.
Bonsoir Gérard,
Passionnant et remarquablement illustré, votre article m’a tenue, une fois encore, de bout en bout, le souffle suspendu au récit, je dirais même…
Ces terribles évènements, ces crimes odieux, au nom du prétendu maintien de l’ordre public, entre autres, ont, sous votre plume, une dimension humaine qui me fait songer qu’en dépit des « évolutions » de notre époque, des spectres innocents hantent toujours les rues de Paris.
Je voudrais vous souhaiter une bonne fête avant Minuit. J’ai entendu que nous fêtions aujourd’hui les Gérard alors je vous envoie des pensées amicales et des bises chaleureuses.
Cendrine
Bonjour,
Extraordinaire moment historique qui prouve s’il fallait encore le faire que le pouvoir militaire n’a rien à faire dans les relations sociales… Il est hélas vrai que la répression par la force semblait monnaie courante à certaines époques pas si lointaines. Merci de votre article.
Tout d’abord, Cendrine, merci pour la St Gérard.
J’ai été très touché par ce massacre en plein Paris à une époque finalement pas si éloignée de la nôtre. J’essaie, autant que possible, de retrouver des informations sur les gens ordinaires qui ont subit ces moments terribles, l’ âge, la condition sociale ect .. d’ailleurs sans informations suffisantes je préfère renoncer à écrire un sujet sur l’événement.
Sachez que vos commentaires, sont pour moi, une grande source d’encouragement.
bises
gérard
bonjour promeneur75,
c’est vrai, un moment historique particulièrement fort dans ce Paris qui en a pourtant connu beaucoup. Cette événement est annonciateur de la période au combien tragique de la Commune de Paris.
Merci pour votre précieux commentaire.
gérard