L’arracheur de dents du Pont-Neuf

Vers l’an 1650, Jean Brioché (1567-1671) était arracheur de dents sur le Pont-Neuf. Sur le pont, artisans, charlatans, mendiants, baladins se pressaient en foule, tandis que s’attroupaient les badauds devant les tréteaux des frères Philippe et Antoine Girard – Mondor le docteur et son compère Tabarin maître opérateur –  qui jouaient la farce pour attirer le chaland et vendre leurs improbables médecines.

Sur une estrade pavoisé d’affiches multicolores, Brioché attirait ses clients qu’il délivrait de leurs chicots cariés. Les patients, livrés aux quolibets ou à l’admiration du public, restaient aussi stoïque que possible. Brioché, que les parigots baptisèrent « Dépaveur de rues de la Gueule » suivait la coutume de l’époque en organisant une danse de marionnettes en prélude à sa séance « d’extraction ».

Commedia dell’arte

Le 24 décembre 1649, un homme basané attendit patiemment la fin de la représentation pour aborder Brioché. Il lui proposa de lui confectionner de belles marionnettes à l’effigie de la farce italienne : Polichinelle, Pantalon, Arlequin …

Polichinelle
Arlequin

Brioché intrigué suivit l’ homme jusqu’à son atelier situé passage du Clos-Bruneau dans le quartier de la Sorbonne.

Passage Clos-Bruneau de nos jours

L’inconnu lui montra des échantillons de sa production. Séduit, Brioché passa commande de toute une série de marionnettes. Il s’engagea à payer l’artisan au plus tard un an après la conclusion du marché.Une clause stipulait que les marionnettes, au cas où elles ne seraient pas payées dans le délai imparti, redeviendraient la propriété de leur créateur.

Les marionnettes étaient tellement belles que le succès fut immédiat. Brioché abandonna sa fonction d’arracheur de dents et s’adonna exclusivement à monter des spectacles de marionnettes. En peu de temps il fit fortune.

Avare, Brioché s’acquittait des paiements en traînant les pieds. L’artisan mécontent, l’informa qu’il remettait à ses poupées le soin de veiller à ce que ses engagements soit tenus. Brioché haussa les épaules …..

Galvanisé par le succès, il entreprit une tournée à travers l’hexagone et même au-delà. Il se trouvait en Suisse quand il « omit » de régler la dernière échéance de décembre 1650.

Le jour de Noël sa compagnie donna une représentation à Soleure (surnommée la ville des ambassadeurs) devant une foule nombreuse. Les Suisses qui découvraient ce genre de spectacle étaient émerveillés.

Ruelle dans la vieille ville de Soleure

Le rideau se leva pour la représentation de la pièce « La damnation de Polichinelle ».

Alors se produisit une chose stupéfiante : les poupées soudain ignorèrent leur maître !

Déchaînées, elles brisèrent les ficelles, elles se mirent à tournoyer, gambader, se chamailler, se battre sous le regard effaré de Brioché impuissant. L’assistance cria au maléfice. On déclara que les poupées étaient une troupe de lutin aux ordres du démon.

La maréchaussée arrêta Brioché qui fut traîné devant les juges, escorté par la foule vociférante : Brioché fut condamné à être brûlé vif avec toutes ses marionnettes.

Cette sentence allait être exécutée, lorsque un capitaine des gardes suisses, au service du roi de France, reconnut Brioché qui l’avait fait tant rire à Paris. Le militaire plaida si bien la cause de Brioché que le juge ordonna sa remise en liberté, au grand dam des habitants de Soleure qui continuaient de crier au sortilège.

Brioché regagna Paris en toute hâte. Sitôt arrivé dans la capitale il se précipita au Clos-Bruneau et solda sa dette auprès de l’artisan.

Marionnette – Représentation de la Chatte Blanche

A partir de ce jour, sa célébrité ne fit que s’accroitre. Il se produisit souvent devant la cour.

Sources.

Rue des Maléfices de Jacques Yonnet – éditions Libretto

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