« Sur le Pont neuf j’ai rencontré » est un poème liminaire de l’oeuvre de Louis Aragon « Le Roman inachevé » publié par Gallimard en 1956. Aragon est alors âgé de 59 ans.
Dans ce recueil , Aragon se penche sur sa vie passée sous la forme d’une autobiographie poétique, où il pèse le poids des rêves et des souffrances, des amours, des déceptions et des échecs.
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré ….
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
D’où sort cette chanson lointaine
D’une péniche mal ancrée
Ou du métro Samaritaine
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Sans chien sans canne sans pancarte
Pitié pour les désespérés
Devant qui la foule s’écarte
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
L’ancienne image de moi-même
Qui n’avait d’yeux que pour pleurer
De bouche que pour le blasphème
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Cette pitoyable apparence
Ce mendiant accaparé
Du seul souci de sa souffrance
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Fumée aujourd’hui comme alors
Celui que je fus à l’orée
Celui que je fus à l’aurore
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Semblance d’avant que je naisse
Cet enfant toujours effaré
Le fantôme de ma jeunesse
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Vingt ans l’empire des mensonges
L’espace d’un miséréré
Ce gamin qui n’était que songes
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce jeune homme et ses bras déserts
Ses lèvres de vent dévorées
Disant les airs qui le grisèrent
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Baladin du ciel et du coeur
Son front pur et ses goûts outrés
Dans le cri noir des remorqueurs
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Le joueur qui brûla son âme
Comme une colombe égarée
Entre les tours de Notre-Dame
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce spectre de moi qui commence
La ville à l’aval est dorée
A l’amont se meurt la romance
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce pauvre petit mon pareil
Il m’a sur la Seine montré
Au loin les taches de soleil
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Mon autre au loin ma mascarade
Et dans le jour décoloré
Il m’a dit tout bas Camarade
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Mon double ignorant et crédule
Et je suis longtemps demeuré
Dans ma propre ombre qui recule
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Assis à l’usure des pierres
Le refrain que j’ai murmuré
Le reve qui fut ma lumière
Aveugle aveugle rencontré
Passant avec tes regards veufs
Ô mon passé désemparé
Sur le Pont Neuf
J’aime énormément Aragon, sa manière de faire chanter les mots et j’adore le Pont-Neuf, ses atmosphères à la fois douces et ardentes, sa sublime scénographie, les mascarons aux trognes géniales qui gardent son histoire et son intégrité…
Alors plaisir de lecture assuré avec ton billet,
Merci Gérard
Gros bisous, je pense bien à toi, amitiés pour Paola et ta charmante famille
Cendrine
J’espère que mon commentaire passera, je l’ai envoyé une première fois et je ne le vois pas…
Non, pas blacklistée, sourires!!!
Merci Cendrine ! j’aime beaucoup la poésie d’Aragon que j’ai découvert grâce à jean Ferrat. J’aime aussi certains de ces romans comme les « Cloches de Bâle ».
Blacklistée …. ça ne risque pas !!!!
bisous
Superbement écrit, ce poème est musique de bout en bout rehaussée par l’ingenieuse magie des mots dont Aragon avait le secret
Chopin Nocturne no. 13 (pas 3) . (merci pour le poème)