En septembre 1877, Verlaine quitte l’Angleterre, il trouve un poste d’enseignant au pensionnat Notre-Dame de Rethel. Dans cet établissement, il y exerce la fonction de répétiteur en littérature, histoire, géographie et anglais.
Il remarque un des ses élèves, Lucien Létinois. Il s’attache à lui, ou s’entiche de lui.
En août 1878, le contrat de Verlaine n’est pas renouvelé. Paul et Lucien partent pour l’ Angleterre où ils enseignent dans des villes différentes.
Fin décembre 1879, ils rentrent en France. En 1880 Verlaine achète une ferme à Juniville (aujourd’hui musée Verlaine) dans les Ardennes. Cette tentative dans le domaine de la culture se soldera par un échec.
Ensuite, Verlaine se fait accepter comme surveillant général à Reims pour ne pas être séparé de Lucien qui y a été affecté comme artilleur.
Après dix ans d’errance Verlaine souhaite renouer avec la vie littéraire parisienne. En 1882 il s’installe à Boulogne dans un hôtel.
Lucien accepte un emploi dans l’industrie à Auteuil.
Pendant plusieurs semaines, chaque fin d’après-midi, Verlaine va attendre Lucien à Auteuil, et ils regagnent Boulogne à pied. C’est cette période de leur vie qu’évoque le poème, «Âme, te souvient-il, au fond du paradis».
Le 7 avril 1883, à 23 ans,Lucien meurt de la fièvre thyphoïde. Effondré, Verlaine achète une concession au cimetière d’Ivry, et revient habiter chez sa mère rue de la Roquette.
Dans son recueil Amour (1888) Paul Verlaine consacrera 25 poèmes en hommage à Lucien Létinois.
Âme, te souvient-il, au fond du paradis.
De la gare d’Auteuil et des trains de jadis
T’amenant chaque jour, venus de La Chapelle ?
Jadis déjà ! Combien pourtant je me rappelle
Mes stations au bas du rapide escalier
Dans l’attente de toi, sans pouvoir oublier
Ta grâce en descendant les marches, mince et leste
Comme un ange le long de l’échelle céleste,
Ton sourire amical ensemble et filial,
Ton serrement de main cordial et loyal,
Ni tes yeux d’innocent, doux mais vifs, clairs et sombres,
Qui m’allaient droit au cœur et pénétraient mes ombres.
Après les premiers mots de bonjour et d’accueil,
Mon vieux bras dans le tien, nous quittions cet Auteuil
Et, sous les arbres pleins d’une gente musique,
Notre entretien était souvent métaphysique.
Ô tes forts arguments, ta foi du charbonnier !
Non sans quelque tendance, ô si franche ! à nier,
Mais si vite quittée au premier pas du doute !
Et puis nous rentrions, plus que lents, par la route
Un peu des écoliers, chez moi, chez nous plutôt,
Y déjeuner de rien, fumailler vite et tôt,
Et dépêcher longtemps une vague besogne.
Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne !
Monsieur Blog s’il te plaît, ne précipite pas mon message dans les abysses des Indésirables… Sourires!
Trêve de plaisanterie, tu sais Gérard que j’aime beaucoup Verlaine (j’ai adoré écrire sur la relation de feu sombre unissant Verlaine et Rimbaud…) mais Verlaine, dans toutes ses vies (voilà un artiste avec un côté chat à neuf vies particulièrement marqué) que ce soit avant ou après Rimbaud, que ce soit de l’amitié ou non, nous fait chavirer le coeur avec sa plume trempée dans de l’encre de braise…
La simplicité des mots entre en résonance avec tant de paradigmes complexes en nos âmes de lecteurs…
Merci pour ce billet de pure poésie!
Gros bisous et à très bientôt
Cendrine
quelqu un saurait m expliquer » depecher une vague besogne » ? j ai bien une oetute idée mais je m inquiete d avoir l esprit mal tourné
merci
Je ne pense pas avoir l’esprit mal tourné mais, depuis ma lointaine jeunesse, quand j’ai découvert ce poème grâce à Ferré j’interprète cette phrase comme toi Hugues.
Marie
Bonjour à tous deux,
Moi aussi, je l’interprète, notamment, de cette manière…
Et je suis aussi passé par Ferré…
Mais un argument de plus (pour paraphraser les « forts arguments » du poème) me semble donné par l’allusion au Bois de Boulogne parisien, alors qu’ici il s’agit de leur tranquille promenade, traversant un bois pour rentrer à leur domicile de Boulogne, son jeune bras dans le sien…
Pol (Belgique)
J’oubliais…
Belge d’origine et de naissance, plus que passionné par l’intégralité des textes de mon compatriote, Jacques Brel, saviez-vous que ce dernier a repris cette expression « vague besogne » chez Verlaine, pour sa chanson « Jojo », une de ses plus belle avec « Orly » qui cohabitent toutes deux sur son incontournable dernier album !
Pour très bien connaître l’ensemble des textes de Brel, je peux vous affirmer que c’est quasi la seule expression qu’il a pu emprunter à poètes avant lui… Mieux, il en a même inventé beaucoup d’autres, telles que, par exemple, le verbe « frérer » ou « frèrer », c’est selon, dans « Jojo ».
Pol
Ps: il en est de même pour Léo Ferré dont énormément de poètes et chanteurs, surtout, qui ont suivi, ont largement plagié! Bien que je perçois tout de même que de petites choses, dans les textes comme dans les orchestrations musicales, soient passées de Brel en Ferré, plus qu’à l’inverse (dates de parutions à l’appui…) 🙂
Encore moi !
Pour en revenir simplement à Boulogne et son, ou ses bois…
Il s’agit, me direz-vous, surtout si vous êtes Parisiennes…, du même et célèbre Bois de Boulogne ! Mais puisqu’il s’agit d’une romantique promenade, à deux(!), vers la fin de l’après-midi…, l’allusion de Verlaine à ce Bois de Boulogne, ajoutée du vocable: « Mon pauvre enfant… », ne laisse pas beaucoup de doutes sur le sentiment, probablement chargé à la fois de désir, de jalousie mais aussi de protection amoureuse, vécu par Verlaine en écrivant ce poème… Pol
Un contre-argument à l’hypothèse d’une prostitution occasionnelle de Lucien, évoquée par Verlaine, avec le Bois de Boulogne…, serait que l’ambiance des bois, en général, a chez Verlaine parfois une connotation d’angoisse et de visions mortifères. Il y entend des sons, des cris, des chuchotements de complots…
Par ailleurs, le vocable « Mon pauvre enfant » pourrait être interprété simplement par le fait que Lucien vient de mourir à l’âge de 23 ans, et c’est probablement la raison principale pour laquelle Verlaine écrit ce poème…
La « vague besogne » serait alors, comme Brel en donne son sens perso dans « Jojo », une simple activité professionnelle de seconde zone, qui sépare les amants ou les amis qui, au plus vite, cherchent à se retrouver, pour l’Essentiel ! Pol